La toux qui suivit fut tout aussi violente que les dernières déjà passées. Il fallait juste que j’attende et que je ne tombe pas de nouveau dans les noirceurs des ténèbres … Ce qui n’était pas facile lorsque la fatigue due à un manque de sang se faisait ressentir plus que jamais. Et en plus de cette douleur, à force de tousser, je commençais à avoir bien mal aux poumons. Cette toux semblait interminable et quand enfin j’eus un moment de répit, une personne surgit de n’importe où, se positionnant à mes côtés. Je ne l’avais pas vu arrivé, je ne l’avais pas ressenti, après tout, je n’étais qu’une humaine dépourvue de pouvoir, je ne risquais pas de faire long feu parmi eux. Étant trop faible, je me contentai de l’observer, enfin de me concentrer surtout sur ses mains, je ne pouvais le regarder droit dans les yeux, ses oreilles de chats en alerte me mettaient en garde : une personne du lycée où je me trouvai en avait et s’amusait souvent à tester son pouvoir sur moi. Il m’arrivait donc parfois de revenir les bras légèrement brûlés sûrement pas assez pour inquiéter les gérants de l’orphelinat, mais peut m’importait.

J’eus un léger geste de recul lorsqu’il me tendit sa sucette : j’avais peur. Je tremblai de tous mes membres, malgré que ma toux se soit tue. J’avais de nouveau peur que l’on me fasse du mal, je me recroquevillai donc sur moi-même après avoir pris les distances avec le mystérieux inconnu. Je n’étais pas capable de me reprendre, surtout après la crise que j’avais eu quelques instants plus tôt, car dans mon habitude, je me serais relevée, je lui aurais simplement souri et je serais repartie. Là, je montrai mon véritable visage : celui d’une pauvre gamine en piteux état, si vulnérable que la blesser en deviendrait lassant, mais comme c’est un bon sac de sable, on continue de la martyriser pour passer ses nerfs. Je me sentais toute honteuse, incapable de faire quoi que ce soit, incapable de me relever et de me reprendre …

D’un simple geste, je vins remettre mes cheveux roses en arrière, essayant de les dissimuler le plus possible même si j’étais à quatre-vingt-dix-neuf pour cent sûrs qu’il les avait déjà vue ou au moins entrevue. Encore une personne qui allait se moquer de moi, une de plus sur la liste, déjà qu’elle était bien longue, sachant qu’il y avait déjà tous les lycéens auxquels je rajoutais ceux de mon orphelinat ne pouvant pas me voir en peinture. Ils étaient tous d’accord pour que je sois dans la même pièce qu’eux, mais je ne devais sûrement pas être tout près. Il fallait toujours une sorte de « distance de sécurité » juste au cas où. De toute façon, ce n’était pas cela qui allait me déranger, tant qu’ils me laissent tranquille, je ne risque rien.

D’un regard timide, je le déposai dans celui du jeune garçon pour de nouveau le fuir. J’avais fait le plus gros des efforts. Le rouge me montait aux joues, c’était fort embarrassant, je ne savais que faire, ou que dire et ce silence était insoutenable. Qu’allait-il me faire ?!

- S’il vous plait … Ne me frappez pas … Et … Ne regardez pas mes cheveux … Je sais … Ils-ils sont affreux … (sanglot)

Je retenais ma respiration après mes derniers mots, essayant de faire taire les voix désagréables qui étaient apparues dans mon subconscient, me m’étant par la même occasion en posture de défense, me coupant du monde en plaquant mes mains sur mes oreilles. Mais rien n’y faisait, on ne pouvait rendre le monde silencieux, cela n’était pas en mon pouvoir et je doutais fort qu’il y ait une personne capable, sur cette île, de le faire à ma place, en particulier pour mon usage. Sa voix retentit donc, dans mes tympans, mes yeux clos fortement se détendirent peu à peu. Je fus fortement surprise d’entendre ce mot, cet unique mot. Celui que je n’avais jamais eu le droit de recevoir. C’était comme si ce mot avait disparu un temps de mon dictionnaire cérébral et que comme par magie, il venait de s’y écrire. Mes cheveux étaient … Jolis … ? Réflexe, j’ouvris mes yeux doucement, et le regard dans le vide, je vins les trifouiller à leur bout pendant que le jeune garçon reprenait la parole. Il s’éloigna de moi et me parla d’un présent. Avec grand étonnement, je finis par déposer mon regard sur le petit coquillage et sur la sucette, écarquillant grand les yeux. Cadeau … Depuis quand je n’en avais pas reçu ? Depuis mon arrivée sur l’île au moins, en gros cinq ans voir plus, la notion du temps m’ayant complètement échappée.

-Je … M’appelle Hi…na …Hinata … lui dis-je d’une voix étouffée.

Une larme roula le long de ma joue et se perdit dans le coin de mes lèvres. Puis une deuxième la rejoignit aussitôt et ainsi de suite. Ma vue se brouilla sous ce nuage de larmes. Je lâchai quelques petits reniflements involontaires, recueillant par la même occasion ce qui allait peut-être devenir des choses précieuses, tout comme mon pendentif autour de mon cou blanc. Je les apportai timidement jusqu’à mon cœur, plissant des yeux. J’avais l’impression de rêver, d’être dans un doux rêve ensoleillé. Mais rêve ou cauchemar ? Jusqu’ici, Samuel n’avait produit aucune fausse note, aucun son trop grave ou trop aigu dans ses gestes … Il m’avait l’air si gentil et si attentionné … Mon subconscient me criait un danger pendant que mon cœur me disait de tenter ma chance. Cette main tendue était cette petite parcelle de chance. J’hésitai alors durant une bonne poignée de minute, les yeux rivés sur cette main tendue. Un rayon lunaire vint éclairer le jeune homme, et les yeux dans les étoiles je finis par lui tendre la mienne afin d’en saisir la sienne.

D’un geste élégant, je vins me remettre sur mes jambes toujours tremblantes. Je n’avais pas pour autant quitté des yeux ces deux mains liées l’une à l’autre, le rouge me monta aux joues et d’un geste rapide, je mis fin à ce contact. Un petit cri sorti de ma bouche, mes bandages se tachaient légèrement de sang : il fallait que je les refasse. Mais je n’avais rien sur moi, je me contentai donc de retirer ceux-ci salis et d’en observer les dégâts : rien d’alarmant bien entendu, mais les blessures étaient profondes et elles me picotaient. J’en perdis l’équilibre et je vins m’affaler sur mon « nouvel ami ».

-Dé…Déso-ler …

On m’a très souvent raconté, du moins dans les livres, que les histoires de princesses commençaient plutôt bien, puis on retrouvait un long fleuve de péripéties avant de se terminer par « et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Ces histoires m’ont toujours mise du baume au cœur et je rêvais à longueur de journée que cela m’arrive un jour, étais-je plutôt égoïste en désirant tant cela ? Peut-être … Mais Samuel, plus je l’observais, plus il me faisait penser le contraire … J’étais comme un dessin sans couleur, l’une de ces premières vieilles images en noir et blanc où la perfection n’existait pas encore. Et lui, il était comme une palette à couleur et ce qu’il tenait dans ses mains, qui n’était autre qu’un appareil photo était comme son pinceau magique. Un peu de féerie dans ce monde de brute … Un peu de réalité dans ce monde si imprenable … Le flash m’éblouit alors un peu, plissant mes yeux, je devais faire la mauvaise tête dessus : les joues trempées, les yeux rouges, mes cheveux roses … Mais qu’importe. S’il avait désiré prendre une photo à mes côtés, cela voulait peut-être dire qu’il était d’une façon ou d’une autre sincère avec moi. S’il avait voulu se moquer de ma personne, il m’aurait prise seule face à cette ambiance nocturne.

Malgré cela, je demeurai de nouveau silencieuse, tout comme la lune qui nous observait de tout là-haut. Qui ne semblait plus vouloir se moquer de mon malaise. Qui semblait désirer mon bonheur à présent. Elle me réchauffait timidement de sa couleur blanchâtre comme elle l’avait fait avec mon nouveau camarade. Il semblait prendre au sérieux ma blessure et comme nouveau cadeau, il vint déposer un doux baiser sur mes nouveaux bandages blancs. Je détournai le regard vivement. Le rouge ne semblait pas vouloir quitter mes joues pâles, cela me gênait, mais ne m’était pas désagréable … Un petit moment d’inattention me fit entrevoir le passé : je me voyais, petite enfant pas plus haute que trois pommes, pleurant à chaud de larmes ma petite chute. Une dame à l’apparence floutée déposa un bisou sur mon égratignure et j’aperçu un fin sourire, puis plus rien. J’étais de nouveau en présence du jeune homme, les yeux grands écarquillés lorsqu’il m’emporta pour une petite danse rythmée par sa voix, et pas la musique que j’avais chantée. Un timide sourire éclaircit mon visage empoté par mes pleurs. J’avais envie de rire, mais aucun bruit ne sortit de ma bouche, seulement un sourire. Je ne savais pas depuis quand je n’avais pas souri d’une façon aussi sincère .. Ce sourire avait sommeillé au fond de mon être et avait attendu patiemment un moment opportun.

Ces quelques fausses notes et toute la joie qu’il m’était pour me rendre heureuse était des plus sincères. Je voulais moi aussi participer à ces festivités, ne plus rester dans l’ombre des autres, être moi-même. Me redécouvrir encore une fois. Je ne voulais plus vivre dans l’obscurité, aller vers la lumière tel un papillon de nuit perdu. M’y approcher le plus possible, sans pour autant m’éblouir ou me brûler les ailes. La liberté d’expression était au bout de ce chemin. Allais-je continuer, ou rebrousser chemin ? Encore une fois, mon cœur me dictait de continuer de courir là-bas sans me retourner. J’allais le suivre.

« Suis ton cœur, lui seul peut te guider … »

Mon chant résonna à travers les flots et les vagues de la mer. Un chant pur et beaucoup moins triste. Je tentai d’y aller doucement afin qu’il puisse me suivre, faire comme une sorte de duo, en canon quoi. J’enchaînai une phrase qu’il répéta ensuite. Et, sans même m’en rendre compte, un rire clair sortit de mes lèvres et raisonna à son tour dans l’espace vide qui nous entourait. Une part de moi venait de changer. Je venais de m’ouvrir, de m’épanouir telle une fleur. Je l’entourai de mes bras tendrement, glissant ma tête jusqu’à son cou pour lui murmurer un « merci… », me blottissant tout contre sa personne.

La vie reprenait peu à peu ses couleurs à mes yeux. Je reprenais des couleurs. J’étais un tableau, lui mon peintre. Les couleurs primaires apparaissaient déjà au loin et celles secondaires se mariaient peu à peu avec les autres. Je sentais mon cœur battre à la chamade, j’avais envie de vivre, et de me battre, être forte. Toute fois, cela s’annonçait difficile, car la timidité ne se combat pas en un jour et la méchanceté des gens ne risquait pas de s’envoler avec le vent au premier souffle du matin. Mes cheveux d’un naturel rose n’allaient pas se teinter si facilement d’une sombre luminosité. Il allait falloir être patiente et courageuse, forte. Combien de temps cela allait-il me prendre ? Un mois ? Ou peut-être deux ? Non, qu’est-ce que je raconte, un an ou deux serait bien plus logique ! Une nouvelle année était le meilleur moment pour s’affirmer devant les nouveaux élèves. Oui, et en attendant, j’allais m’entraîner sans relâche pour être sure de ne pas foirer au moment venu. Je n’étais plus seule, j’avais un ami sur qui compter … Et d’ailleurs, il m’essuyait tendrement mes joues toutes humides et finit par se serrer contre moi en frottant sa joue contre la mienne. Surprise, je n’eus pas la force de le repousser, ni même de pousser un cri de surprise. Je restai droite comme un i, figée sur un rougissement pas invisible, loin de là. S’il ne s’était pas poussé après une poignée de secondes, j’aurais pu confirmer la présence de faibles ronronnements.

- Rentrer … ? Personne ne sait que je ne suis pas dans ma chambre … Après tout, je suis invisible à leurs yeux !

Dis-je avec un sourire légèrement faux. Je n’avais plus envie de pleurer, surtout devant lui, alors il fallait que je mente encore un peu même si mes expressions ne devaient plus avoir de secret pour ce cher Samuel. Néanmoins, j’espérai qu’il me comprenne et qu’il ne cherche pas à me faire de nouveau la morale à propos de mon invisibilité. Je savais pertinemment que c’était la vérité … Serrant les poings en pensant à l’avenir, la vérité allait un jour passer au mensonge et j’attendais ce moment-là avec impatience.

Finalement, après avoir baissée la tête pour avouer faussement la vérité, je me redressai, sautant limite vers mon ami pour lui attraper la main, je le poussai gentiment en avant afin qu’il suive mes pas qui allait nous mener vers la ville. Avant de retourner à ma vie de tous les jours, je voulais voir où il habitait, voir ses parents, voir ce que c’est qu’une vie nouvelle et surtout, en savoir un peu plus sur lui. M’arrêtant un instant au milieu de la plage, je me retournai vers lui.

- Tu sais, je suis arrivée de ce côté. Je suis sûre qu’un peu plus loin de ce rivage se trouve le bateau qui m’a amenée en ces lieux. Quelque part sous l’eau … Avec le corps de mes deux parents … Moi j’ai échappé à la noyade, mais j’ai avalé tellement d’eau salée que j’ai abîmé mes cordes vocales. Dis-je en regardant les flots calmes qui venaient lécher le sable blanc de la plage.