"Pony riding, sushis cooking...
I'll may you be where you wanted...
Oh we talked about it,
After 1 or 2 beers..."
Cocoon - Sushis

Les douze coups de midi avaient déjà sonné depuis un moment. Petit, certes, mais un moment. Et une bien drôle de paire avait dévalé les marches menant à la sortie de la clinique. Eïleen Honey et Alexaï Stravinsky auraient tout à fait pu opter pour une sortie discrète, mais non. Mieux valait faire les choses tout à fait. A vrai dire, ce n'était pas tout à fait comme si la douce Honey avait eu voix au chapitre. Elle n'ignorait pas que le pouvoir du jeune homme qui l'embauchait aurait pu les mener directement à leur table, sans que perosnne ne s'aperçoive de leur absence momentanée. Quoique ç'aurait pu paraître suspect. Et une petite heure à passée "Dans" le bureau du directeur aurait valu à l'anglaise quelques longues semaines de ragots en plus. Ceci dit, elle n'était plus à celà près. Elle ne pouvait qu'espérer qu'à la rentrée prochaine, la clinique ne renouvelle une peu son personnel de secrétariat, et tout serait pour le mieux. Puis cela recommencerait, naturellement. Elle en était parfois venue à se demander si les secrétaires n'étaient pas une sorte de communauté à part de la société, répondant aux mêmes caractéristiques mentales - ce qui était plus ou moins flatteur d'ailleurs -, obéissant à des valeurs communes et introuvables chez le reste du commun des mortels. Et des immortels aussi. c'était une question fort intéressant, mais sur laquelle elle ne pouvait pas plancher pour le moment.

Elle avait donc été cordialement emmenée par Mr.Stravinsky - elle se refusait à l'appeler Alexeï, bien que certaines fois certaines pensées n'échappent à son contrôle - mais cette... martialité lui allait bien peu - à travers les larges rues de la nouvelle Medalionn. Objectif du commando : un petit restaurant asiatique dont le nom lui était complètement illisible, notre jeune femme ne maîtrisant ni le japonais, ni le chinois, ni toutes les langues dont l'esthétique s'en rapprochaient. Lorsque son regard se posa sur l'écriteau surplombant la vitrine, elle en admira presque machinalement les traits vifs et épais, sans avoir la moindre idée de ce que cela pouvait bien signifier. Ce n'était pas sans lui rappeler un petit restaurant similaire dans lequel sa tante l'avait régulièrement amenée à Londres, le Paper Lantern. Elle y avait goûté pour la première fois des sushis au concombre, et avait plutôt apprécié. Et cette divine sauve soja qui allait avec parfaisait le tout.

Elle se rabroua mentalement. Tant de pensées alimentaires en une seule journée étaient plutôt, dérangeantes. Certes, il était l'heure du déjeuner et elles ne semblaient pas si déplacées, mais tout de même. La porte du restaurant, entrouverte et laissant filtrer une odeur plutôt engageante, n'allait sans doute pas arranger les choses. La jeune femme prit les devants, fit un pas un peu plus rapide que ceux de celui qui l'escortait et poussa le battant, qui s'ouvrit sans un grincement. propre, net. Un signe avant-coureur de bon augure, il fallait l'espérer. Eïleen fit un pas à l'intérieur. Une chaleur légère régnait dans la pièce principale. Moisn lourde que celle des petits restaurants bien rustiques qu'elle avait expérimentés dans la campgane française, mais assez pour qu'elle ne regrette pas de n'avoir pris qu'une petite veste. Elle avait retsiré sa blouse à la hâte en passant au vestiaire et n'avait pas pris son écharpe, bien qu'il ne fasse pas très chaud dehors. Ils avaient marchés vite. So good.

Elle tourna la tête, lança un regard au Maddoc, puis prit la décision de s'installer à une petite table dans l'un des coins, à demi-exposée au soleil léger grâce à la grande vitre qui faisait office de présentoir à la populace de la rue. Ils étaient presque seuls. Deux autres tables étaient occupées, l'une par un trio silencieux et l'autre par un homme solitaire aux cheveux grisonnants. Un calme appréciable après le hurlement des sirènes, le ricanement des secrétaires et les râles en tout genres.

A les voir tous les deux, on aurait dit un jeune couple. Un jeune homme jovial, une jeune femme à l'air stoïque, on pouvait croire qu'elle avait passé une mauvaise semaine et que le jeune homme qui l'accompagnait tendait de la dérider en l'invitant au restaurant. Joli petit restaurant, d'ailleurs, avec de fausses peintures ornées de calligraphie japonaise. Ici, un tigre, là une forêt, par ici un loup, le tout esquissé à l'encre de Chine. Le restaurant était presque vide - en semaine, cela n'avait rien d'étonnant, je suppose que ceux qui se trouvaient là travaillaient non loin et n'avait pas le temps de rentrer chez eux pour se restaurer. En somme, tous les éléments pour un déjeuner romantique étaient réunis. Seulement voilà, les deux jeunes gens qui venaient de pénétrer le restaurant n'avaient absolument rien d'un jeune couple d'amoureux. Mais alors, vraiment rien du tout, Dieu en garde Eileen. La pauvre n'était même pas là de son plein gré.

Elle prit la décision d'aller s'installer à une table dans un coin, près de la vitre de la façade. Alexeï sourit et ne dit rien, se laissant guider par la jeune femme. Profites-en, Eileen, on dirait qu'aujourd'hui il n'est pas d'humeur à s'opposer à tout ce que tu veux faire. C'est le moment de négocier une augmentation, ou un peu plus de congés, ou tout ce que tu veux ! Ah, mais bien sûr, Eileen est trop gentille pour tenter de saisir cette opportunité. Bon sang, Lex ne mérite vraiment pas de t'avoir dans sa clinique. Et s'il diminuait de moitié son égo démesuré, il s'en rendrait compte. Et te séquestrerais sans doute de peur que tu ne t'en ailles. Puisque les gens aussi sympathiques que toi sont bien rares et que lui, la rareté, il aime la posséder. Il a au moins cette qualité de savoir que la richesse n'est pas que matérielle.

Alexeï installa sa grande silhouette du côté assombri de la table et étala ses jambes en dessous, s'étirant comme un chat. Il songea que, d'ailleurs, Schrödinger aurait grand faim le soir, à moins qu'il ne se téléporte rapidement chez lui pour le nourrir après son propre repas. Parce que oui, notre Maddoc était l'heureux possesseur d'un chat qui lui faisait l'honneur de le supporter. En fin de compte, ce type est extrêmement chanceux, une preuve vivante de l'injustice du ciel. Tenez, cet homme, malgré son jeune âge, est un connard de la pire espèce, et il a tout ce dont on pourrait rêver. Il est riche, loin d'être bête, influent... Bon, il n'a pas franchement d'amis, à part son cousin, mais je n'ai pas l'impression que ça lui manque. Et voyez Eileen, une jeune femme qui ne pose pas de problèmes, gentille, patiente... Forcée de le supporter. Décidément, ça me révolte.

Alexeï regarda Eileen s'asseoir en face de lui. Ses yeux sombres s'attardèrent un peu sur les cheveux de la demoiselle, qui s'éclaircissaient momentanément sous les rayons du soleil. Les reflets éclairèrent quelque peu les volutes rouges qui jouaient au creux de ses iris. La serveuse qui s'approcha d'eux pour prendre leur commande sursauta lorsque ce regard étrange se posa sur elle. Le Russe ne se priva pas pour la détailler longuement. C'était une jeune femme typée asiatique, sans doute pour renforcer l'ambiance du restaurant. Peut-être un peu plus âgée que Lex lui-même. Pas très à l'aise en compagnie de notre duo. Alexeï lui adressa un sourire que l'on pourrait qualifier de carnassier en se saisissant du menu qu'elle lui tendait. Ce n'était pas la première fois qu'il venait, en revanche c'était la première fois qu'il la voyait. Une petite nouvelle.

"Vous serez sympathique, mademoiselle, de ne pas présumer des goûts culinaires de vos clients et de nous apporter le menu végétarien. Un petit conseil pour vous : cela peut-être très désagréable pour un client d'avoir à affirmer haut et fort dans un restaurant quelles sont ses préférences - vous savez comme moi, je suppose, à quel point les gens nous regardent étrangement lorsque nous sommes différents."

La serveuse déglutit. Oui, Lex parvient très facilement à mettre mal à l'aise, n'est-ce pas ?

"Quant à moi, je prendrais des nigiris au saumon et au thon. N'insistez pas trop sur le vinaigre dans le riz, d'accord ?"

La jeune chinoise - Lex venait d'identifier ses traits - se dépêcha de s'éclipser, puis revint avec un menu végétarien qu'elle tendit à Eileen et repartit aussi vite que la politesse le lui permettait en cuisine. Le jeune homme croisa le regard de la jeune femme qui lui tenait compagnie.

"Es-tu habituée à ce type de restaurant, ma petite crème anglaise ? Ah, si jamais tu as du mal avec les baguettes, ne t'inquiète pas, ils ont des sushis qui peuvent se manger avec les doigts sans que cela semble impoli. Au pire, je peux toujours te tenir les baguettes. Comme le font les jeunes couples dans les dramas japonais."

Oh, il savait bien qu'il y avait peu de chances pour qu'Eileen veuille qu'il la nourrisse avec ses baguettes. Aucune, même. A vrai dire, il n'avait aucune envie de perdre du temps à ce genre d'actions futiles, mais il ne voulait pas laisser passer une occasion de taquiner sa trop patiente subordonnée.